Bill Frisell : guitare
Thomas Morgan : contrebasse
Rudy Royston : batterie
Avec Bill Frisell, cette 43ème édition de Jazz sous les pommiers s’achève en apothéose ! Parmi les grands guitaristes américains apparus à la charnière des années 70 et des années 80, il était le seul à ne pas avoir joué sous son nom à Coutances, John Scofield étant venu en 1996 et 2006, Pat Metheny nous ayant rendu plusieurs visites depuis 1998. Le guitariste de Baltimore avait, lui, été seulement invité en 1996 au sein du trio de Paul Motian.
Il vient donc aujourd’hui avec son propre trio, où l’on retrouve Thomas Morgan à la contrebasse et Rudy Royston à la batterie, deux compagnons de longue date maintenant, qui l’accompagnent depuis la première moitié des années 2010 dans différentes configurations instrumentales, un double album venant justement de paraître, enregistré en 2021-2022 avec le Brussels Philarmonic et l’Umbria Jazz Orchestra. Ce soir, pas question d’orchestre : les trois musiciens tiennent seuls la scène.
Quelques notes, disparates, semblant tombées de nulle part… Lentement, très progressivement, quelque chose se construit, se dessine, et la mélodie de « Days of Wine and Roses » finit par émerger doucement, comme une fleur qui éclos. Bill Frisell, c’est notamment l’art de l’épure : il sait comme peu d’autres, à l’instar de Miles Davis, choisir la note juste, au bon moment, au bon endroit. La musique avance, se déploie jusqu’à un passage bruitiste, avec un son de guitare distordue, et l’on glisse sans s’en apercevoir vers un autre thème, « Blues From Before », Monkien en diable – Frisell est sans aucun doute le plus monkien des guitaristes. Thomas Morgan nous offre à cette occasion un solo enthousiasmant, glissant par petites touches hors du temps, jouant à l’étirer, le déformer, le tordre jusqu’au vertige. Nouvelle transition du guitariste, qui pose encore une fois quelques notes en apparence décousues qui finissent par esquisser le titre suivant. Toute la soirée se déroulera ainsi, les compositions s’enchainant comme une longue suite, à l’images du cadavre exquis cher aux surréalistes, donnant l’impression que chaque titre nait des ruines du précédent. Cette fois, c’est « Dog on a Roof » qui surgit, un blues folk dont le thème évoque le riff de « Purple Haze », le guitariste passant à nouveau à un son distordu pour nous offrir un solo déchirant avec une apparente nonchalance. Ensuite, sur un rythme à trois temps, les notes arpégées avec légèreté de « Claude Utley » dessinent des entrelacs, tournant comme un manège, la musique se teintant ici de nostalgie. On retrouve dans le jeu du batteur Rudy Royston un côté coloriste qui n’est pas sans évoquer Joey Baron, dessinant des figures par touches délicates. La transition suivante nous amène à un très beau thème de Jule Styne, « People », dépouillé, sensible et émouvant : une beauté miraculeuse ! Après « Baba Drame », de Boubacar Traoré, sur lequel le thème sonne comme un chant, les phrases se répétant et se répondant en échos sans fin, le guitariste clos le concert comme il l’avait ouvert, avec une musique de film : cette fois, il s’agit du thème du James Bond « You Only Live Twice » (« On ne vit que deux fois »). En rappel, il nous offre « Shenandoah », un traditionnel qui sonne ici comme un hymne, et « Holiday », une de ses compositions à l’esprit à nouveau monkien.
On ne pouvait guère rêver mieux pour cette dernière soirée de festival, et ce concert restera certainement durablement dans les mémoires.