interview
Jean-Benoît Culot
Propos recueillis par Stéphane Barthod
en mai 1998 à Caen
Après la sortie du deuxième album du Jean-Benoît Culot Quintet, le batteur caennais entame une tournée qui passe, en plus de Caen et de quelques villes normandes, par Paris (Petit Opportun).
Jazz, médecine, rock, peinture, ça fait beaucoup pour un seul homme Tu peux nous raconter ton parcours ?
Dabord jai commencé la batterie tard, cest-à-dire à pratiquement 18 ans. Jétais en première, avec mon ami Rémi qui maintenant est comédien. En écoutant Gilbert Bécaud un jour, on était ensemble dans une pièce et il nous a dit "et pourquoi pas nous ?". Alors il a désigné Bruno "toi tu seras guitariste", Hubert "tu seras bassiste", et il ma dit " toi Jean-Benoît, tu seras batteur" et jai dit "oui, pourquoi pas ?", et donc je suis devenu batteur par hasard. Jai vendu les trains électriques de mon père pour macheter une batterie, une Asba, et on a commencé à faire du RocknRoll avec cette formation-là, mais sans rien connaître, donc on faisait juste les premières notes des morceaux, très fort et très longtemps, et on avait une copine qui était flûtiste classique qui nous repiquait les solos de Deep Purple, et on a commencé comme ça, par le rock
Et ça a évolué rapidement ?
Oui, mon premier prof, cétait Patrick Janvresse, qui était le batteur dArchipel pendant assez longtemps, cétait un bon groupe des années 70. Il était avec moi au Lycée à Bayeux, le midi il est venu me donner deux-trois cours. Le premier disque quil ma mis cétait Neil Young, Harvest, "Old man", tu sais toum toum tac, et voilà, jai essayé de faire ça. Pendant un an ou deux on a fait du rock, et après je suis venu à Caen, jai commencé médecine, mais jai continué à faire du rock, et après la troisième année de médecine, on a décidé avec le groupe quon serait pratiquement professionnels, cest-à-dire quon répétait tous les jours (le groupe de rock, toujours). On avait notre sono, on avait acheté notre camion, le groupe sappelait Overdose.
Au bout de combien dannées ?
Cest devenu Overdose très vite, avec les mêmes copains depuis le début et jusquen 79, on a écumé un peu toutes les MJC et les bars du coin. On a fait le Golf Drouot, on était deuxièmes derrière Bye Bye Turbin, qui était un autre groupe de Caen. On a enregistré des bandes, en 77-78, et les maisons de disques trouvaient ça très bien, mais trop bien, on faisait du Doors, Santana, des compos, mais le Punk arrive à cette époque-là, et nous étions beaucoup trop cleans, ils préféraient des jeunes groupes qui ne savaient rien. Vu que ça ne marchait pas, notre guitariste nous a dit quil arrêtait, donc ça sest fini en mai 79.
La découverte du jazz
Quand le groupe sest arrêté, jétais vraiment triste, et il a fallu attendre lété 79 pour aller à Nice par hasard avec une amie, pour me retrouver à la grande Parade du Jazz, mais à lépoque le jazz membêtait, je naimais pas, je nen écoutais pas. Et puis jy suis allé, et là ça a été le grand choc, parce que là, je voyais les musiciens monter leur batterie devant, ça swinguait naturellement, Lionel Hampton, Panama Francis, Hal Grey, Stan Getz, jai vu tous ces gens-là et jai trouvé que cétait simple, et jai dit "ça, ça me correspond, je vais faire du jazz".
Donc, je suis rentré, et on a commencé en 79 à faire du jazz avec le saxophoniste, Dominique Marc, qui était le sonorisateur dOverdose, il sétait mis au sax, et le bassiste électrique Thierry Houot, qui est toujours à Bayeux dailleurs, il sest mis à la contrebasse, et on répétait à trois dans notre cave, dans la cave de mes parents à Bayeux, et on faisait des blues, jazz, quoi, acoustiques, et on a rencontré Gilles Petit, qui habitait à Cairon, et on a fait Patch Work. Là, cétait plutôt "swing fête de la bière", jusquen 82, on a fait un disque en 81, et donc ce groupe a été vraiment le début dans le jazz. Dans lentrefaite en 81, Tony Pagano était arrivé à Caen, et comme je le dis, cest vraiment un tournant pour mes oreilles : du jazz quon faisait, des trucs très simples, le be bop est arrivé, et puis Wayne Shorter tout dun coup, et là on a commencé à jouer avec Dominique Voquer et Tony Pagano, qui jouait aussi dailleurs avec Patch Work, avec plein de gens. Tony ma vraiment appris le jazz, il ma conseillé daller à Boston, au Berkley College of Music. Jy suis allé en 83, trois mois intensifs, et là ça été le choc parce que je me suis aperçu que cétait vraiment une musique difficile, quil fallait beaucoup travailler, et jai même fait anesthésie pendant un moment, javais un peu arrêté la musique.
Au bout de 3 mois danesthésie, jai compris que la musique cétait vraiment ma vie, et là jai vraiment foncé dans le jazz, et on a commencé Ifriqiya avec Martial Pardo et Rénald Fleury, on a étudié tous les standards, Coltrane, le be bop, pour en arriver à la musique personnelle de Martial qui était très intéressante mais ô combien difficile. On a fait ce groupe jusquen 89 où on a fait le disque Pierres écrites, et ensuite jai arrêté ça. Parallèlement, jallais à Paris, je faisais beaucoup de jazz, en 86-88, je faisais des bufs tous les dimanches et tous les lundis dans un club à Paris.
Quel club ?
Cétait au Magnetic Terrasse, aux Halles. cest un club super où jai vu en 88 Art Taylor avec Jacky Mac Lean, et là jai pris la claque de ma vie, jai compris à lépoque que le be bop nétait pas ce que je croyais, et là jai mis un grand coup darrêt sur cette musique, et jai commencé avec Ifriqiya à faire des compositions originales et enregistrer le disque, et former Eniotna ensuite, Papaq, tous des groupes originaux quon peut qualifier deuropéens, maghrébins européens, mais pas du swing be bop, que jai arrêté jusquen 92. Jai vraiment mis un grand frein à cette musique-là et on est rentré vraiment dans la composition Parce que javais envie de composer aussi, avec Eniotna. Ensuite en 92-93, avec Gaël (Horellou) qui avait 16 ans, et Nicolas (Talbot), on a recommencé à jouer vraiment du jazz, bop, hard bop, et là on est repartis avec Duprey, Prost.
Ton quintet est effectivement un retour aux sources par rapport à Eniotna par exemple.
Oui, quintet de jazz dans la tradition du bop, hard bop, du swing. Parce que je navais plus de groupe swing (si, javais Philippe Carment, bien sûr), je navais que des groupes originaux, Petit Marcelot, Eniotna, Papaq, donc jai eu vraiment envie de faire du swing. Jarrive à un point où jadore cette musique, cest ce qui me plaît peut-être le plus, mais jaime aussi avoir le petit Marcelot, un big band un peu original, et avoir Eniotna où comme on a vu dimanche, avec Steve Potts, cest autre chose, pour rêver.
Éviter de senfermer
Pour la composition, cest bien en plus de travailler une musique qui va plus vers les choses modales, originales Le be bop, cest dur, avec tous ces accords
Et la peinture...
Il y a musique, mais aussi la peinture, qui semble être une spécialité des batteurs (Daniel Humair, Bertrand Renaudin, toi )
Cest vrai quil y a beaucoup de "peintres/batteurs", mais il y a sûrement des musiciens qui sont aussi peintres et qui ne sont pas batteurs. Je peins depuis que jai 12 ans, jai toujours fait ça, jai eu un atelier de peinture, et puis jai fait des expos, ça marchait bien ; jai une peinture plutôt abstraite, avec de la terre Cétait un peu le début dEniotna
Dessine-moi une musique de la terre, cest une commande dexpo, de musique donc on a fait un petit disque-catalogue, on a fait pas mal de concerts avec la peinture, donc ça ma poussé, jai mélangé on est tout seul en peinture, donc cest beaucoup plus calme, mais étant seul, cest beaucoup plus dur quand ça se passe mal. Jaime bien peindre mais lannée dernière, on sest fait virer de la volute donc je nai plus datelier, je nai plus beaucoup de temps, mais en vacances je repeins, jai deux trois expos à venir, mais cest devenu un hobby alors quavant jessayais vraiment de faire les deux. Mais cest comme la musique, la peinture, ça demande beaucoup de travail, surtout quand on est autodidacte.
La musique et l'écoute
Dans ton jeu, que ce soit dans Eniotna ou avec ton quintet, lécoute est très importante
Je crois que cest la priorité de tout musicien. Cest vrai que le batteur a peut-être une image de celui qui tape, qui fait le tempo et qui nentend rien. En fait non, je crois que le batteur, surtout le batteur de jazz, doit vraiment être musicien, sinon autant avoir une boîte à rythme, ce que font beaucoup de musiques, disons rock, etc. En plus jai eu un problème de tendinite, pendant quinze jours, jai joué avec un seul bras, et là, lécoute est encore plus terrible parce que tu es tout nu avec ton bras droit, tu écoutes, tu écoutes, et tu va ponctuer, faire vraiment le minimum, mais en fonction de loreille
Je préfère être musicien que batteur. Je travaille pour devenir un bon batteur de jazz parce que jai des lacunes, il faut toujours saméliorer, notamment la technique, mais la musique cest plus important, il faut le swing et le tempo. Le swing, ça se travaille ; Simon Goubert dit quil faut environs vingt ans pour avoir un bon chabada, je crois quil a raison, ça se cultive, mais le swing, si tu nen as vraiment pas, cest difficile dêtre batteur de jazz. Après, le tempo, ça se travaille, et la musique, cest lécoute, cest savoir où tu es dans la grille Si le batteur est perdu comme disait je ne sais plus qui, le batteur, cest 70% de lorchestre : tu mets un très bon batteur avec un groupe très moyen, ça peut donner un bon groupe ; un très bon groupe avec un batteur qui ne joue pas, ce ne sera jamais un bon groupe. Doù la batterie dans le jazz, qui a été inventée en fait pour le jazz, à tel point quon disait "va chercher ton jazz", pour dire "va chercher ta batterie".
Cest le drame des jeunes batteurs, il veulent jouer très technique, comme Dave Weckl ou Steve Gadd, alors quinstaller un tempo à la noire sur une cymbale, ting ting ting, ils ne savent pas. Pourtant il faut que ça swingue, que ça balance. A ce sujet-là, le prof de batterie que javais quand jétais à Caen, qui sappelle Roger Durel ma appris à aimer la musique de jazz ; pour ça, il ma vraiment appris la musique, parce que la technique, tout le monde peut apprendre la technique, mais la musique
Justement, Aldo Romano compte beaucoup pour toi
Voilà, cest le batteur musicien. Moi jadore Aldo, jai deux morceaux : Odela cest Aldo à lenvers, et Onamor, joué à la flûte dans Eniotna et qui veut dire Romano à lenvers. Cest un thème un peu italien. Jaime beaucoup les thèmes dAldo, des thèmes très simples mais qui sont très émotionnels, il joue de la batterie vraiment "terrible", mais pas du tout technique, pour moi cest un grand batteur, parce que cest un grand musicien.
Tu as eu loccasion de le remplacer pour un concert, je crois ?
Oui, ça a été un peu le début de laventure de Paris, quand Emmanuel Bex en 93 ma appelé pour remplacer Aldo Romano au Petit Opportun, avec lui et Eric Barret. jétais mort de trouille, mais jy suis allé, et ça sest pas mal passé, puisque depuis je joue à Paris régulièrement.