interview

Jean-Benoît Culot

Propos recueillis par Stéphane Barthod
en mai 1998 à Caen

MUSICIEN
Jean-Benoît Culot le 28 septembre 2018– Photo : Stéphane Barthod

Après la sortie du deuxième album du Jean-Benoît Culot Quintet, le batteur caennais entame une tournée qui passe, en plus de Caen et de quelques villes normandes, par Paris (Petit Opportun).

Jazz, médecine, rock, peinture, ça fait beaucoup pour un seul homme… Tu peux nous raconter ton parcours ?

D’abord j’ai commencé la batterie tard, c’est-à-dire à pratiquement 18 ans. J’étais en première, avec mon ami Rémi qui maintenant est comédien. En écoutant Gilbert Bécaud un jour, on était ensemble dans une pièce et il nous a dit "et pourquoi pas nous ?". Alors il a désigné Bruno "toi tu seras guitariste", Hubert "tu seras bassiste", et il m’a dit " toi Jean-Benoît, tu seras batteur" et j’ai dit "oui, pourquoi pas ?", et donc je suis devenu batteur par hasard. J’ai vendu les trains électriques de mon père pour m’acheter une batterie, une Asba, et on a commencé à faire du Rock’n’Roll avec cette formation-là, mais sans rien connaître, donc on faisait juste les premières notes des morceaux, très fort et très longtemps, et on avait une copine qui était flûtiste classique qui nous repiquait les solos de Deep Purple, et on a commencé comme ça, par le rock…

Et ça a évolué rapidement ?

Oui, mon premier prof, c’était Patrick Janvresse, qui était le batteur d’Archipel pendant assez longtemps, c’était un bon groupe des années 70. Il était avec moi au Lycée à Bayeux, le midi il est venu me donner deux-trois cours. Le premier disque qu’il m’a mis c’était Neil Young, Harvest, "Old man", tu sais…toum toum tac, et voilà, j’ai essayé de faire ça. Pendant un an ou deux on a fait du rock, et après je suis venu à Caen, j’ai commencé médecine, mais j’ai continué à faire du rock, et après la troisième année de médecine, on a décidé avec le groupe qu’on serait pratiquement professionnels, c’est-à-dire qu’on répétait tous les jours (le groupe de rock, toujours). On avait notre sono, on avait acheté notre camion, le groupe s’appelait Overdose.

Au bout de combien d’années ?

C’est devenu Overdose très vite, avec les mêmes copains depuis le début et jusqu’en 79, on a écumé un peu toutes les MJC et les bars du coin. On a fait le Golf Drouot, on était deuxièmes derrière Bye Bye Turbin, qui était un autre groupe de Caen. On a enregistré des bandes, en 77-78, et les maisons de disques trouvaient ça très bien, mais trop bien, on faisait du Doors, Santana, des compos, mais le Punk arrive à cette époque-là, et nous étions beaucoup trop cleans, ils préféraient des jeunes groupes qui ne savaient rien. Vu que ça ne marchait pas, notre guitariste nous a dit qu’il arrêtait, donc ça s’est fini en mai 79.

La découverte du jazz

Quand le groupe s’est arrêté, j’étais vraiment triste, et il a fallu attendre l’été 79 pour aller à Nice par hasard avec une amie, pour me retrouver à la grande Parade du Jazz, mais à l’époque le jazz m’embêtait, je n’aimais pas, je n’en écoutais pas. Et puis j’y suis allé, et là ça a été le grand choc, parce que là, je voyais les musiciens monter leur batterie devant, ça swinguait naturellement, Lionel Hampton, Panama Francis, Hal Grey, Stan Getz, j’ai vu tous ces gens-là et j’ai trouvé que c’était simple, et j’ai dit "ça, ça me correspond, je vais faire du jazz".

Donc, je suis rentré, et on a commencé en 79 à faire du jazz avec le saxophoniste, Dominique Marc, qui était le sonorisateur d’Overdose, il s’était mis au sax, et le bassiste électrique Thierry Houot, qui est toujours à Bayeux d’ailleurs, il s’est mis à la contrebasse, et on répétait à trois dans notre cave, dans la cave de mes parents à Bayeux, et on faisait des blues, jazz, quoi, acoustiques, et on a rencontré Gilles Petit, qui habitait à Cairon, et on a fait Patch Work. Là, c’était plutôt "swing – fête de la bière", jusqu’en 82, on a fait un disque en 81, et donc ce groupe a été vraiment le début dans le jazz. Dans l’entrefaite en 81, Tony Pagano était arrivé à Caen, et comme je le dis, c’est vraiment un tournant pour mes oreilles : du jazz qu’on faisait, des trucs très simples, le be bop est arrivé, et puis Wayne Shorter tout d’un coup, et là on a commencé à jouer avec Dominique Voquer et Tony Pagano, qui jouait aussi d’ailleurs avec Patch Work, avec plein de gens. Tony m’a vraiment appris le jazz, il m’a conseillé d’aller à Boston, au Berkley College of Music. J’y suis allé en 83, trois mois intensifs, et là ça été le choc parce que je me suis aperçu que c’était vraiment une musique difficile, qu’il fallait beaucoup travailler, et j’ai même fait anesthésie pendant un moment, j’avais un peu arrêté la musique.

MUSICIEN
Jean-Benoît Culot le 28 septembre 2018– Photo : Stéphane Barthod

Au bout de 3 mois d’anesthésie, j’ai compris que la musique c’était vraiment ma vie, et là j’ai vraiment foncé dans le jazz, et on a commencé Ifriqiya avec Martial Pardo et Rénald Fleury, on a étudié tous les standards, Coltrane, le be bop, pour en arriver à la musique personnelle de Martial qui était très intéressante mais ô combien difficile. On a fait ce groupe jusqu’en 89 où on a fait le disque Pierres écrites, et ensuite j’ai arrêté ça. Parallèlement, j’allais à Paris, je faisais beaucoup de jazz, en 86-88, je faisais des bœufs tous les dimanches et tous les lundis dans un club à Paris.

Quel club ?

C’était au Magnetic Terrasse, aux Halles. c’est un club super où j’ai vu en 88 Art Taylor avec Jacky Mac Lean, et là j’ai pris la claque de ma vie, j’ai compris à l’époque que le be bop n’était pas ce que je croyais, et là j’ai mis un grand coup d’arrêt sur cette musique, et j’ai commencé avec Ifriqiya à faire des compositions originales et enregistrer le disque, et former Eniotna ensuite, Papaq, tous des groupes originaux qu’on peut qualifier d’européens, maghrébins européens, mais pas du swing be bop, que j’ai arrêté jusqu’en 92. J’ai vraiment mis un grand frein à cette musique-là et on est rentré vraiment dans la composition… Parce que j’avais envie de composer aussi, avec Eniotna. Ensuite en 92-93, avec Gaël (Horellou) qui avait 16 ans, et Nicolas (Talbot), on a recommencé à jouer vraiment du jazz, bop, hard bop, et là on est repartis avec Duprey, Prost.

Ton quintet est effectivement un retour aux sources par rapport à Eniotna par exemple.

Oui, quintet de jazz dans la tradition du bop, hard bop, du swing. Parce que je n’avais plus de groupe swing (si, j’avais Philippe Carment, bien sûr), je n’avais que des groupes originaux, Petit Marcelot, Eniotna, Papaq, donc j’ai eu vraiment envie de faire du swing. J’arrive à un point où j’adore cette musique, c’est ce qui me plaît peut-être le plus, mais j’aime aussi avoir le petit Marcelot, un big band un peu original, et avoir Eniotna où comme on a vu dimanche, avec Steve Potts, c’est autre chose, pour rêver.

Éviter de s’enfermer…

Pour la composition, c’est bien en plus de travailler une musique qui va plus vers les choses modales, originales… Le be bop, c’est dur, avec tous ces accords…

Et la peinture...

Il y a musique, mais aussi la peinture, qui semble être une spécialité des batteurs (Daniel Humair, Bertrand Renaudin, toi…)

C’est vrai qu’il y a beaucoup de "peintres/batteurs", mais il y a sûrement des musiciens qui sont aussi peintres et qui ne sont pas batteurs. Je peins depuis que j’ai 12 ans, j’ai toujours fait ça, j’ai eu un atelier de peinture, et puis j’ai fait des expos, ça marchait bien ; j’ai une peinture plutôt abstraite, avec de la terre… C’était un peu le début d’Eniotna

Dessine-moi une musique de la terre, c’est une commande d’expo, de musique donc on a fait un petit disque-catalogue, on a fait pas mal de concerts avec la peinture, donc ça m’a poussé, j’ai mélangé… on est tout seul en peinture, donc c’est beaucoup plus calme, mais étant seul, c’est beaucoup plus dur quand ça se passe mal. J’aime bien peindre mais l’année dernière, on s’est fait virer de la volute donc je n’ai plus d’atelier, je n’ai plus beaucoup de temps, mais en vacances je repeins, j’ai deux trois expos à venir, mais c’est devenu un hobby alors qu’avant j’essayais vraiment de faire les deux. Mais c’est comme la musique, la peinture, ça demande beaucoup de travail, surtout quand on est autodidacte.

MUSICIEN
Anda (1990) - 195 x 130 - peinture de Jean-Benoît Culot

La musique et l'écoute

Dans ton jeu, que ce soit dans Eniotna ou avec ton quintet, l’écoute est très importante …

Je crois que c’est la priorité de tout musicien. C’est vrai que le batteur a peut-être une image de celui qui tape, qui fait le tempo et qui n’entend rien. En fait non, je crois que le batteur, surtout le batteur de jazz, doit vraiment être musicien, sinon autant avoir une boîte à rythme, ce que font beaucoup de musiques, disons rock, etc. En plus j’ai eu un problème de tendinite, pendant quinze jours, j’ai joué avec un seul bras, et là, l’écoute est encore plus terrible parce que tu es tout nu avec ton bras droit, tu écoutes, tu écoutes, et tu va ponctuer, faire vraiment le minimum, mais en fonction de l’oreille…

Je préfère être musicien que batteur. Je travaille pour devenir un bon batteur de jazz parce que j’ai des lacunes, il faut toujours s’améliorer, notamment la technique, mais la musique c’est plus important, il faut le swing et le tempo. Le swing, ça se travaille ; Simon Goubert dit qu’il faut environs vingt ans pour avoir un bon chabada, je crois qu’il a raison, ça se cultive, mais le swing, si tu n’en as vraiment pas, c’est difficile d’être batteur de jazz. Après, le tempo, ça se travaille, et la musique, c’est l’écoute, c’est savoir où tu es dans la grille… Si le batteur est perdu… comme disait je ne sais plus qui, le batteur, c’est 70% de l’orchestre : tu mets un très bon batteur avec un groupe très moyen, ça peut donner un bon groupe ; un très bon groupe avec un batteur qui ne joue pas, ce ne sera jamais un bon groupe. D’où la batterie dans le jazz, qui a été inventée en fait pour le jazz, à tel point qu’on disait "va chercher ton jazz", pour dire "va chercher ta batterie".

C’est le drame des jeunes batteurs, il veulent jouer très technique, comme Dave Weckl ou Steve Gadd, alors qu’installer un tempo à la noire sur une cymbale, ting ting ting, ils ne savent pas. Pourtant il faut que ça swingue, que ça balance. A ce sujet-là, le prof de batterie que j’avais quand j’étais à Caen, qui s’appelle Roger Durel m’a appris à aimer la musique de jazz ; pour ça, il m’a vraiment appris la musique, parce que la technique, tout le monde peut apprendre la technique, mais la musique…

Justement, Aldo Romano compte beaucoup pour toi…

Voilà, c’est le batteur musicien. Moi j’adore Aldo, j’ai deux morceaux : Odela c’est Aldo à l’envers, et Onamor, joué à la flûte dans Eniotna et qui veut dire Romano à l’envers. C’est un thème un peu italien. J’aime beaucoup les thèmes d’Aldo, des thèmes très simples mais qui sont très émotionnels, il joue de la batterie vraiment "terrible", mais pas du tout technique, pour moi c’est un grand batteur, parce que c’est un grand musicien.

Tu as eu l’occasion de le remplacer pour un concert, je crois ?

Oui, ça a été un peu le début de l’aventure de Paris, quand Emmanuel Bex en 93 m’a appelé pour remplacer Aldo Romano au Petit Opportun, avec lui et Eric Barret. j’étais mort de trouille, mais j’y suis allé, et ça s’est pas mal passé, puisque depuis je joue à Paris régulièrement.