interview

Louis Winsberg

Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 28 avril 2019 à Saint-Clair-sur-Elle

Louis Winsberg
Louis Winsberg le 28 avril 2019 à Saint-Clair-sur-Elle (Manche) – Photo : Stéphane Barthod

À l'occasion de sa série de concerts donnés en Normandie dans le cadre des week-ends "Jazz dans les Prés", rencontre avec Louis Winsberg et retour sur la carrière du guitariste à l'occasion du week-end Jazz dans les Prés. Un entretien en cinq parties :

Petit déjà... (1/5)

Quand tu as commencé la guitare à 12 ans, était-ce ton premier instrument, et as-tu appris en autodidacte ou avec Los Reyes (NDLR : connus par la suite sous le nom de Gipsy Kings), amis gitans de tes parents ?

Un peu des deux… C’est vrai que je faisais un peu de piano avant, vers l’âge de sept-huit ans. J’ai pianoté, c’était un peu un jeu, et je composais quand même des petits trucs, mais c’est en posant les mains sur la guitare que j’ai eu un vrai choc et que je m’y suis mis à fond tout de suite. Ça a été une révélation pour moi. C’est vrai qu’il y avait à la maison pas mal de juergas – des fêtes gitanes –, j’en ai entendu beaucoup, ça me plaisait : pour un gamin, c’est chouette de voir ça, et j’aimais bien la musique. Un jour, ils ont oublié une guitare dans un coin, c’est grâce à ça que j’ai essayé et ça m’a beaucoup plu ! Je me rappelle que je leur avais demandé des trucs, je me souviens très bien de tout ce qu’ils m’avaient montré, c’était très drôle parce qu’ils m’avaient donné les noms des notes alors qu’ils ne les connaissaient pas. Ils m’ont montré des rythmes, c’était sympa, mais c’est vrai que j’ai appris largement en autodidacte.

Et puis je me suis inscrit à la MJC de Cavaillon où j’ai pris des cours de guitare classique pendant un an. Ça me paraissait difficile, c’était laborieux, mais ça m’a appris où étaient les notes sur le manche, ça m’a permis de jouer des petits morceaux. Et c’est vrai que j’étais assez vite à fond sur le jazz, je ne me le suis jamais expliqué : le côté flamenco me plaisait, mais c’était plutôt l’univers de mes parents. Quand j’ai commencé tout jeune, j’écoutais les Beatles, Status Quo, mais ça n’a pas été très long. Je sais qu’on allait voir des concerts de jazz, il y avait un festival à Salons par exemple, on est allés voir Ella Fitzgerald, Cab Calloway… Mon père aimait bien le jazz, mais pas plus que la chanson, le flamenco ou les musiques du monde. Mes parents n’écoutaient pas de la musique très souvent à part le live : dès que des musiciens venaient à la maison, je sentais qu’ils aimaient vraiment les musiciens. Et moi, du coup, j’ai flashé sur le jazz…Weather Report : Heavy Weather

Un pote m’apporté « Heavy Weather » de Weather Report quand le disque est sorti. Ça m’a fait un truc, même si je n’y comprenais rien. Au niveau de la guitare, j’ai très vite adoré George Benson, et puis Wes Montgomery aussi, Joe Pass... j’avais envie d’apprendre le be-bop, assez jeune, vers 14 ans. Un ami m’a dit qu’il y avait des stages de jazz à Saint-Rémi-de-Provence. J’y suis allé, l’été, une année avec Christian Escoudé, une avec Gérard Marais et une autre avec Boell et Roubach… À 14, 15 et 16 ans. Après, je suis monté à Paris.

Tu étais encore très jeune… Tu savais déjà que tu ferais carrière dans la musique ?

Dans ma tête, oui, c’était une évidence… Le seul truc, c’est qu’étant jeune, il me fallait un argument pour monter à Paris. Mes parents étaient assez convaincus d’avance, ils voyaient bien que je jouais toute la journée de la guitare, ils étaient fiers, contents, mais c’était jeune pour partir à Paris tout seul. J’avais une copine qui avait fait un lycée musical, le lycée de Sèvres, un lycée un peu familial, assez sélectif, où l’on rentre par une audition, vingt élèves par ans. Je me suis mis en tête préparer ça, j’ai fait une seconde C à Arles, pendant laquelle je n’ai fait que préparer mon concours d’entrée, que j’ai eu, et j’ai fait trois ans au lycée de Sèvres, de la seconde à la terminale. Ça m’a permis de monter à Paris, j’ai vite rencontré des musiciens, j’ai commencé à jouer dans des petits clubs, j’apprenais le jazz en fait… J’ai joué dans un club qui s’appelait la Pinte, à Odéon, c’était vraiment un truc à touristes, mais ils prenaient des jeunes, ils s’en foutaient du moment qu’il y avait un peu de musique. Donc j’ai fait plein de concerts, dans des clubs, c’était payé au lance-pierre mais c’est là que j’ai appris à jouer des standards, et que j’ai commencé à rencontrer des musiciens.

Entre temps, il y a eu une expérience rigolote, quand j’étais en première, j’avais 17 ans, j’ai eu un coup de fil de la famille des Reyes, qui m’a dit « Loulou, il faut que tu viennes ». Ils avaient un guitariste solo qui ne voulait pas prendre l’avion et ils voulaient enregistrer un disque. C’était leur premier disque sans le père, José Reyes, qui venait de mourir. J’étais encore au lycée, j’ai demandé l’autorisation à ma prof principale d’aller enregistrer en Suisse allemande avec Los Reyes, qui n’étaient pas connus alors, ils n’étaient pas encore les Gipsy Kings. On a enregistré le disque, qui est toujours dans le commerce d’ailleurs : la maison de disque, Tudor, est suisse allemande, c’étaient les premiers enregistrements sur DAT, on a enregistré dans une église, ça s’est appelé « La fête des Saintes-Maries-de-la-Mer », une pochette horrible avec des cartes postales découpées aux ciseaux, et derrière, dans la distribution, parmi tous les Reyes, il y a Loulou van Winsberghe, c’est moi (rires)… C’est le premier disque dans lequel j’ai joué ! Ils avaient pensé à moi, après je les ai perdus de vue, et ça s’est mis à marcher pour eux. Los Reyes : La fête des Saintes-Maries-de-la-Mer

De mon côté, j’étais très jazz, et après mon bac je suis allé au CIM, d’Alain Guerrini (NDLR : Centre d’Information Musicale, première école de Jazz et Musiques Actuelles créée en France). À ce moment, vers 18 ans, je savais déjà jouer, Alain m’a entendu et il m’a tout de suite confié des cours. Il m’a d’abord demandé de quelle école je venais, je lui ai répondu que j’étais autodidacte et il a conclu « C’est bien ce que je pensais, c’est vraiment la preuve que ça ne sert à rien, les écoles… » C’est le directeur de l’école qui me dit ça ! (rires) Il m’a proposé, pour payer mes cours, de m’occuper d’une classe d’harmonie, j’avais deux ou trois heures par semaine et ça me payait mes cours d’arrangement avec Ivan Jullien. Très vite, il m’a confié des trucs, il m’a inscrit au concours de la Défense, où j’ai eu le prix de soliste en 1982.