interview

Louis Winsberg

Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 28 avril 2019 à Saint-Clair-sur-Elle

Louis Winsberg
Dee Dee Bridgewater et Louis Winsberg le 27 mai 2006 à Jazz sous les Pommiers, Coutances (Manche) – Photo : Stéphane Barthod

Les autres musiciens (4/5)

Le travail en duo est un exercice particulier. C’est une formule que tu apprécies particulièrement ?

Oui, et notamment l’accompagnement du chant. C’est vrai que j’ai eu la chance de faire des concerts en duo avec Maurane aussi, autant qu’avec Dee Dee, ce sont des grandes chanteuses quand même. Et moi, c’est beaucoup le flamenco qui m’a amené ça : dans le flamenco, le guitare-chant est un art à part entière, comme le quatuor à cordes en est un… je pense à Camarón et Tomatito au Cirque d’hiver, c’est un art, c’est sublime, et pas simple. Je m’en inspire au niveau de l’idée, c’est-à-dire que quand un guitariste flamenco accompagne un chanteur, c’est du très très sérieux, il faut vraiment être rivé sur le chanteur, lui coller aux basques tout le temps, le pousser, le soutenir, le retenir, c’est un art très subtil. C’est vrai que d’arriver à amener ça dans la variété ou le jazz, ça fait sonner la voix beaucoup mieux que juste de l’accompagnement « pépère ». Le flamenco m’a amené cette idée-là en tout cas. Eux, en plus, ont le style, les rythmes… Il faut observer la tête du guitariste quand il regarde le chanteur, c’est phénoménal, il n’en perd pas une miette, il est dans la voix, il place les accords, c’est à la fois très aérien et très rythmique.

Plusieurs musiciens ont appris avec un autre instrument que le leur en tête : Metheny et le saxophone, Holdsworth a appris la guitariste en écoutant des pianistes, Ponty pense à la trompette… Est-ce également ton cas ?

Ce serait plutôt la voix pour moi, et je pense que tout instrumentiste a un peu envie de se rapprocher de la voix finalement. C’est drôle d’ailleurs, parce que Paco rêvait d’être chanteur, et Camarón rêvait d’être guitariste… Oui, je dirais le chant. Après, il y a des tas de choses que j’aime bien prendre au sax, au piano, c’est vrai aussi. La guitare a ça de bien, c’est tellement large. Au piano, notamment dans le jazz, il y a un cahier des charges, de Bach à Mehldau. La guitare, c’est différent, BB King ne sait pas faire ce que fait Paco, Paco ne sait pas faire ce que fait Holdsworth, ou Hendrix… Il y a mille façons de faire sonner une guitare, électrique, acoustique, cordes métal, cordes nylon, il n’y a pas un exemple : Frisell, Scofield, Django, je le vois moins contraignant. Il y a plein de guitaristes aujourd’hui qui font des trucs pas possibles. Je pense notamment à Jon Gomm, c’est un martien, il joue tout seul et en plus il chante, mais ça reste très musical. Je pense qu’il vient du métal, il joue avec les deux mains sur le manche, sur une folk, il tourne aussi les mécaniques pendant qu’il joue – elles sont graduées – et il a toute une technique de sons percussifs, et ça sonne grave, il a de belles compositions, et ça fait école maintenant.

Du côté des jeunes musiciens, tu suis des gens comme Samuelito ou Antoine Boyer par exemple ?

Absolument, je les connais en plus. C’est drôle parce que quand on a joué à Paris sur la péniche Anako avec Jaleo, ils sont venus tous les deux, et Samuelito me disait que quand il était enfant, il écoutait Jaleo, il connait bien Miguel Sanchez depuis qu’il est tout petit. Quelque part, je me dis que ça fait partie des choses qui lui ont donné envier, très certainement, et c’est chouette, c’est génial. Ils ont un gros niveau tous les deux, Antoine Boyer, c’est un monstre aussi, il est original, il a une personnalité… Ils viennent du classique tous les deux, avec un gros niveau technique, mais Antoine a plutôt développé le monde manouche – mais aussi avec une électrique, manouche de l’an 2020 – et Samuelito, c’est pareil avec le flamenco, et il m’a dit que c’est une galère avec le classique, parce que les techniques de doigts flamenco et de doigts classique, c’est tout le contraire.

Dans le sud, j’ai fait un concert avec Charlier et Sourisse, il y avait un jeune qui s’appelle Roman Raynaud, il a 13 ans et il joue grave. Il a bien sûr plein de choses à apprendre, mais il a déjà un niveau et une assurance étonnants, il est génial. Il est à l’école, il prend des cours au conservatoire avec Serges Lazarévitch et là, il est venu au concert, et j’essaie de lui donner des cours, des informations, le plus possible, et il est super. Oui, je les suis tous les deux, Samuelito et Antoine… Anthony Jambon aussi, et ça m’a fait plaisir parce qu’ils sont venus tous les trois, le même soir. Anthony, je l’ai eu comme élève une fois, on m’en avait déjà parlé avant, donc je savais qu’il était très doué, et je suis content de voir les belles choses qu’il fait, c’est génial, ça me fait plaisir.