interview
Louis Winsberg
Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 28 avril 2019 à Saint-Clair-sur-Elle
Un entretien en cinq parties :
- Petit déjà...
- L'aventure Sixun / La révolution Miles Davis
- La révolution Paco de Lucia / L'aventure Jaleo
- Les autres musiciens
- Le présent / Les projets
La révolution Paco de Lucia / L'aventure Jaleo (3/5)
Le deuxième choc, c’est un choc à retardement, avec Paco de Lucia, que tu as toujours écouté mais pour lequel tu as eu une révélation…
Exactement, et c’est pareil, je ne me suis jamais expliqué pourquoi à ce moment-là, je n’ai effectivement jamais cessé d’écouter le flamenco, je me rappelle tous les copains gitans qui me l’ont fait découvrir, Mahavishnu aussi et le trio de guitares (NDLR John McLaughlin, Paco de Lucia et Al di Meola), j’étais même allé les voir en concert avec, c’est vrai, un gros faible pour Paco quand même, j’écoutais ses disques, notamment un disque qui s’appelle « Siroco », c’est un des disques que j’ai le plus écouté toutes catégories confondues… J’écoutais ça, mais en étant extérieur. Pourquoi un jour, je devais avoir la trentaine, je devais être mûr, et j’écoutais un disque que j’avais déjà beaucoup entendu, « Solo quiero caminar », et j’ai eu une espèce d’électrochoc, je me suis dit qu’il fallait que je m’y mette, j’ai eu un appel très très fort.
Donc j’ai fait ce qu’il fallait, j’ai cherché des gens à Paris, c’est drôle, j’ai cherché « flamenco » dans les pages jaunes, j’ai rencontré le prof de guitare qui s’appelait El Chino, c’est un chinois qui s’est complètement imbibé de la culture flamenco. Il m’a dit qu’ils avaient un bon prof de guitare qui aime bien le jazz : c’était Jean-Baptiste Marino, avec qui on fait ensuite Jaleo. De fil en aiguille, j’ai fait des rencontres, il m’a montré des trucs, j’ai accompagné des cours de danse, appris les rudiments de la technique et des rythmes : le plus dur, c’est le rythme. Finalement, vu que j’aimais tellement ça, j’ai composé pas mal en me servant de tout ça et ça a donné Jaleo dix ans plus tard. Ça n’était pas réfléchi au départ, ça a été quelque chose de fort, une nécessité.
C’est du temps, du travail, c’est humain aussi, et quand on a commencé à travailler avec Jaleo, on a eu la chance d’avoir une résidence à Valencienne. C’est là qu’il y a eu la fusion, mais on a bossé : 19 jours dans le théâtre, et au début, tout le monde se regardait un peu de travers, personne ne comprenait rien à rien. Et puis très vite, tout le monde a fait des beaux efforts et ça a été génial, je crois que ça a été un des plus beaux moments de création que j’ai eu dans ma vie de musicien jusqu’à présent, avec tout ce que ça comporte de doutes et d’errances. Ça n’était pas gagné, on était huit musiciens sans basse ni batterie. J’ai le souvenir d’un moment vraiment où j’ai su que ça marcherait – artistiquement, je ne parle pas d’un point de vue commercial – : j’étais allé à Séville et j’étais tombé raide dingue de ce rythme, la sévillane : c’est une danse de couple, pas vraiment classée dans le flamenco, ce sont quatre mouvements, quatre danses, qui ont des accents bien particuliers, pas évidents du tout pour nous. Donc, j’ai écrit une sévillane « Balkanñ Sevillan’ », entre Frank Zappa et les Balkans, c’est un truc de fou pour les flamencos, mais par contre, c’est bien une sévillane, j’ai d’ailleurs appris plus tard qu’ils s’en servent dans des écoles de sévillane. Comme je ne savais pas, j’ai demandé à la danseuse comment ça se découpait, mais c’était compliqué, on ne s’en sortait pas avec le côté écriture, et Isabel, la danseuse, a enlevé sa veste et m’a dit de jouer, et elle s’est mise à danser, on a joué dessus et ça a été réglé en dix minutes et je me suis dit « là, c’est de la bombe atomique ». C’était puissant et ça a une existence sur une danse qui existe depuis longtemps. C’était un beau moment de création. Et puis il y a un indien dans le groupe, Nanda Kumar, avec lequel on a trouvé un truc super, on a eu beaucoup de chance cette résidence : je ne pense pas qu’on aurait monté un aussi beau projet si on avait répété à Paris trois fois à gauche à droite. Là, on avait une belle résidence à Valencienne, on ne faisait que ça, il faisait moche dehors et on était à fond, par groupes de quatre jours, trois jours, cinq jours, sur une période de trois mois : on avait le temps de travailler des trucs à la maison, de revoir. Juste après, on devait enregistrer le disque chez Blue Note, le studio était prévu, et ils nous ont lâché en cours de route pour sortir Saint-Germain. Finalement on a fait l’album, François Peyratout a fait l’intermédiaire, a payé la production et j’étais assez sûr de mon coup, le disque était réussi, j’ai fait le tour des maisons de disques et heureusement, chez Universal, Daniel Richard m’a soutenu… Ça compte, quand une major appuie le projet, ça se sent : au niveau de la promotion, de la visibilité.
On a fait beaucoup de concerts et le groupe vit toujours : en 2006, on a fait « Le bal des suds », avec une résidence plus courte à Istres, et une résidence encore plus courte avec « For Paco » en 2014 à Saint-Rémy-de-Provence, un beau truc, avec un orchestre à cordes. Pour moi, c’est le groupe le plus personnel, avec ce que j’ai vécu avec le flamenco. J’ai décidé d’apprendre cette musique contre toute logique, je voyais tous mes potes guitaristes qui se disaient que je n’étais pas sorti de l’auberge, mais j’apprenais… Et je ne serai jamais un bon guitariste de flamenco, c’est une vie de travail, mais ça m’apporte beaucoup dans ma musique et ça me permet de savoir communiquer avec eux, et c’est un grand plaisir. Et ils aiment ma musique, c’est autre chose que ce qu’ils font. Quand je suis allé à Madrid enregistrer les re-re de « For Paco », Jorge Pardo est venu, c’est quand même le flûtiste de Paco, et puis des flamencos, des « top niveaux » de maintenant, des jeunes, ils me connaissaient tous, ils aiment Jaleo, pour moi c’est une belle récompense. Et dans ma musique, ça apporte un plus… Quand Ceccarelli m’a appelé pour Dee Dee Bridgewater, à la base, c’est parce qu’il y avait un passage un peu espagnol, et Maurane, Nougaro, c’est sur Jaleo qu’ils ont craqué… Tous les gros trucs que j’ai faits, c’est en rapport avec le flamenco, je n’ai bien sûr pas calculé ça.
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