interview

Yves Rousseau

Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 10 septembre 2021 à Caen

Yves Rousseau
Yves Rousseau le 26 août 2021 – Photo : Stéphane Barthod

Yves Rousseau a inauguré les résidences au long cours de Jazz sous les pommiers avec Franck Tortiller et Pascal Vignon de 1994 à 1998. Il revient sur cette aventure et sur le concert qui a réuni tous les résidents à l'occasion des quarante ans du festival.

Résidence et Résidents

Peut-on revenir sur ta résidence à Jazz sous les pommiers, en trio avec Franck Tortiller et Pascal Vignon, qui était d'ailleurs la première résidence du festival, à la fin des années 90 ?

C’est drôle parce que, comme on va parler de Port-Bail, il se trouve qu’il y a plus de trente ans, avec mon frère, qui est devenu maire de la ville en juin dernier, on avait organisé un festival un peu « tous azimuts » à Flamanville, dont il était à l’époque adjoint à la culture. Les concerts avaient lieu dans les douves du château, on a fait six éditions entre 1987 et 1993, où l’on avait programmé notamment un groupe de percussions burkinabé – décidément – qui s’appelait Farafina. Mon frère, qui est médecin en retraite, allait beaucoup au Burkina Faso pour des actions humanitaires. On a vu Denis Lebas débarquer au concert, j’étais très content qu’il vienne, il était à la tête de Jazz sous les pommiers depuis déjà plusieurs années. On a discuté, on s’est ensuite rappelés, revus, et puis c’est une histoire d’atomes crochus qui ne s’explique pas forcément. Il avait dans l’idée cette histoire de résidence au long cours, et comme Franck (Tortiller) et moi, on travaillait beaucoup ensemble à l’époque, il nous a proposé d’entamer quelque chose, qui ne s’est pas tout de suite appelé "résidence", il était question de compagnonnage, on a essayé pendant un an, et en fait ça a marché du feu de Dieu, tout le monde était content, à commencer par nous. On est restés de 1994 à 1998. La soirée de l’autre jour (NDLR : le concert des Résidents), j’y pensais, en me disant quand même que c’est une fierté que d’avoir ouvert ce chantier-là… Quand on voit les gens qui se sont succédé, l’esprit… Juste deux mots sur le concert des Résidents : quand on voit les egos des différents musiciens, on est tous aux antipodes, et on s’est pourtant tous retrouvés à se dire que c’est vraiment un cadeau commun. Eux - l'équipe du festival -, avaient vraiment envie de cette réunion, et nous, on avait également très envie de bien faire. Voilà, première résidence... on a essuyé les plâtres, mais c’était déjà très « bordé » : Denis voulait tenter des choses, mais sans jamais nous emmener sur des terrains trop délicats, il y avait beaucoup de dialogue. On a quand même fait des crèches à huit heures du matin, c’était drôle… On a vécu quatre ans de rêve.

Cette résidence était pour toi aussi une première ?

Ça a été le début en fait. Ensuite, on en a fait une autre, courte, dans une Scène Nationale au Creusot, à l’Arc du Creusot, avec Franck aussi, et en 1999, avec Franck toujours, on a décidé de faire une pause, on venait de monter un quintet avec Vincent Courtois, Michel Godard… on a fait quelques concerts, mais ça ne prenait pas… on a fait cette pause qui est devenue une grande pause ! Finalement on ne joue plus ensemble mais on est toujours aussi potes qu’avant, très proches. Après ça, j’ai animé pas mal de résidences, on a su que je le faisais « pas trop mal » : les ponts entre la création, la diffusion de la musique et la pédagogie, amener les jeunes à jouer, lever quelques inhibitions… J’ai un point en commun avec Andy Emler, qui le fait beaucoup mieux que moi d’ailleurs, c’est de désinhiber des classiques qui ont peur de l’improvisation, j’adore ça ! Tu vois le visage des ados qui s’éclairent : « tu sais faire do-ré-mi ? Tu vas voir, on va s’amuser avec ! » Je préfère ces séances à des master class avec des jazzmen déjà un peu confirmés, auxquels finalement je n’ai rien à apprendre, sinon quelques petits conseils tirés de mon expérience…

De fait, cette résidence t’a donné une expérience pour la suite…

Oui ! Les concerts à domicile, par exemple, avec les dégustations de vin : ça a commencé chez Denis. Il a été fondateur pour toutes ces choses. Il a fait un peu « jurisprudence ». Et il y a la durée, le fait de pouvoir créer nos délires, rencontrer des musiciens locaux, les conservatoires, l’Harmonie… Ah, l’Harmonie de Coutances ! On en a des souvenirs émus avec Franck.

Parlons maintenant du concert des Résidents. Il y avait d’ailleurs déjà eu un premier concert en 2011 qui regroupait les Résidents de l’époque…

La grande différence, c’est qu’il y avait Christophe Marguet, avec lequel je travaillais beaucoup à l’époque : Denis et Gégé (NDLR : Gérard Collet) m’avaient appelé pour me demander quoi faire pour le poste de batterie, mais la question ne s’est pas posée cette fois, puisqu’il y avait Anne (Paceo). Cette fois, c’est quand même particulier, parce qu'avec l’instrumentarium, on a un tout cohérent, à part deux sax, mais qui ne sont pas les mêmes et ne jouent pas de la même manière... Il n’y avait pas de doublons d’instruments, c’est tout de même incroyable !…

Le concert des Résidents
Le concert des Résidents le 26 août 2021 – Photo : Stéphane Barthod

C'était l’occasion de rencontres inédites aussi ?

Oui, je n’avais jamais joué avec Bojan avant le premier concert des Résidents par exemple, et là, c’était un peu particulier, les quarante ans… C’était assez chargé, dans le côté intergénérationnel, il y a pas loin de 30 ans d’écart avec Théo, Fidel, qui ont 35-40 ans, moi j’en ai 60, Andy 64, qui devait être le plus âgé de la bande, et c’était aussi très sympa de ce point de vue-là.

Quel a été le travail en amont ?

Le festival nous a laissé le choix, l’idée de départ était de décider ce qu’on ferait à dix : une pièce, deux pièces chacun, jouer tous ensemble ou monter de petites formations… Pour être tout-à-fait sincère, au début, en pensant au public, j’imaginais que ce serait bien de jouer en duos, en trios, quartet, avec un morceau en tutti, mais Franck, qui a eu le « nez creux », a dit tout de suite qu’il fallait jouer en tutti tout le temps, avec des solos, des moments plus tranquilles, des tempi plus rapides, mais toujours ensemble, et c’était bien vu de sa part. Après, on craignait de parfois tirer la couverture, il y a des questions d'egos ! On a assez vite décidé de jouer une dizaine de morceaux, un chacun, que ce soit une composition ou une reprise. En ce qui me concerne, « Où va cet univers ? », c’est à moitié une composition, puisque la musique est de moi et le texte de Ferré. C’était dans la création « Poètes, vos papiers ! », avec Jeanne (Added) à l’époque, et là c'est Thomas qui a repris le chant. On s’est vus deux jours, à la Dynamo, en mai, on a tout mis dans la marmite, on a remué, chacun et chacune a réfléchi au truc, il n’y a finalement pas eu de maladresses, ni de choses qui nous ont posé problème : c’est un signe aussi, il n’y a pas de hasard. On a tous perçu l’enjeu, on faisait attention, étant des musiciens qui n’avaient absolument jamais joué ensemble, et en même temps tous des personnalités, des leaders.