interview

Yves Rousseau

Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 10 septembre 2021 à Caen

Les Arches en Jazz

Comment est venue l’idée de créer ce nouveau festival ?

Comme on le disait tout-à-l’heure, on avait déjà créé un festival avec mon frère il y a une trentaine d’années. Pour diverses raison, on s’est arrêtés : il était médecin généraliste en milieu rural et avait des journées très chargées, moi, j’habitais Paris, j’étais en début de carrière… on ne s’en sortait pas ! Il aurait fallu quelqu’un sur place qui puisse faire relai. On s’est donc arrêtés, mais on était encore animés par ça… Aujourd’hui, mon frère est retraité et est devenu maire de Port-Bail, et à la dernière journée du festival du Parc Floral en 2018, je croise André Cayot qui a travaillé pendant des années au Ministère de la Culture, à la DGCA, c'est quelqu'un avec qui j’ai beaucoup travaillé en tant qu’artiste, il a accompagné de nombreux projets de musiciens. Il est alors en retraite – donc très actif !  – et il me dit qu’il va acheter une maison en Normandie, au nord de Coutances, pour finir par me préciser que c’est à Denneville, là où habite justement mon frère… Il n’y a pas de hasard ! Je lui parle du projet, et tout de suite, il « raccroche les wagons ». Le quatrième larron, c’est Sébastian Danchin, qui a beaucoup programmé de musique, notamment au Nice Jazz Festival, et au Paris Jazz Festival pendant dix ans avec Pierrette Devineau. Il a été également président des Victoires du jazz, il est par ailleurs très branché blues… et sa sœur habite à Denneville ! Ça ne s’invente pas ! On est donc quatre Daltons, comme j’aime à le rappeler, à organiser cette histoire. La première édition était prévue l’année dernière, et pour les raisons qu’on connaît, on est restés chez nous, et on s’est dit cette année « on y va ! » Il y a vraiment deux axes : un festival qui est très connecté à une action à l’année, il n’y a pas l’un sans l’autre. Dans les premières conversations, le plus important était de réfléchir à ce qu’on ferait sur le territoire, pour quel public. On s’est adressé là au public scolaire, au collège de Port-Bail, dont le Principal a tout de suite été partant, avec des professeurs, de musique mais d'autres matières aussi. C’est Oua-Anou Diarra qui sera en résidence cette année, ce qui est très bien : avec l’Afrique, il amène un souffle d’ailleurs. Il communique beaucoup en plus, on est vraiment contents qu’il ait accepté de le faire. Il est d’ailleurs un peu le fil rouge de cette première édition : il fait un concert scolaire, il est invité de la pièce que j’ai écrite, et on le fait rencontrer François Corneloup, qui est un tout-terrains de grand talent.

Les choix de programmation se font comment ?

Pour dire les choses de manière un peu crue, j’ai beaucoup de respect pour des musiciens et des projets d’orchestres qu’on voit un peu partout en ce moment, mais justement, j’aimerais qu’on se démarque de ça. Par exemple, le Supersonic de Thomas de Pourquery que j’ai vu cet été à Junas : c’est du jazz, de la pop, du rock, peu importe, c’est vachement bien, point barre. Mais on l’a beaucoup entendu… En revanche, j’aimerais faire venir Thomas, mais peut-être dans une formule à inventer, le duo avec Andy (Emler) par exemple, qui n’a jamais fait de disque (NDLR : sauf un titre, sur l’album « No Solo » avec le designer sonore Phil Reptil) : c’est une pépite, mais ils ont choisi de ne pas enregistrer d’album. On est tous d’accord pour ne pas se limiter à des styles : pas de chapelle, pas d’école… Ce sont des accointances, des amitiés, c’est sûr : on accueillera le moins possible de gens « à problèmes ».

François Corneloup m’a fait très plaisir il y a peu de temps sur Facebook en disant, pour son projet « Entre les terres », qu’entre août et septembre, il allait faire quatre concerts chez quatre confrères musiciens (NDLR : la citation précise est « Très heureux de cette continuité inespérée pour un groupe par les temps qui courent, on notera aussi que ces quatre rendez-vous festivaliers sont tous à l’initiative de musiciens. Il faudra un jour que l’on parle de ce phénomène qui apparaît dans nos réseaux. Outre les amitiés et les intérêts artistiques réciproques primordiaux , il faut y voir également la nécessité d’un engagement des artistes eux-mêmes pour le maintien sur le territoire d’une activité de diffusion pensée à partir de la création musicale, plutôt que sur ces critères de fiabilité et de rentabilité économique qui semblent désormais trouver la faveur des nouvelles instances culturelles du pays. »). Il y a des questions à se poser. Ça m’a touché parce que je ne déconnecte pas le fait d’organiser, de programmer, de ma vie de musicien et du plaisir que j’ai d’être sur scène. Je vais même te dire, c’est une action qui, sur le fond, est assez égoïste : si on programme ce qui nous plaît, on peut le porter. « Entre les terres » : c’est un bon exemple. Je l’ai vu il y a très peu de temps, ce quartet, à Montreuil, sans avoir Port-Bail en tête, j’ai écouté cette musique à moitié chambriste, à moitié traditionnelle, et j'ai pris une claque, ils m’ont vraiment bluffé ! Je les connais, ils jouent tous très bien, mais ils donnent un sens à ce qui est joué, d’une force… Je pense aussi à Élise Caron, artiste typique qui ne veut pas qu’on la mette dans un tiroir : elle fait ce qu’elle veut, et ne va pas où les autres souhaiteraient l’emmener. En tout cas, on aime ce qu’on programme, on va prendre nous-mêmes du plaisir à être aux concerts… donc on ne voit pas pourquoi les gens ne prendraient pas de plaisir aussi ! (rires)