interview
Ibrahim Maalouf
Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 14 décembre 2012 au Quai des Arts (Argentan)
Le 14 décembre 2012, Ibrahim Maalouf donnait à la salle Quai des Arts d'Argentan le dernier concert de la tournée Diagnostic. Une rencontre avec le public a été organisée à la médiathèque... Une occasion d'en savoir plus sur le parcours du trompettiste. Un entretien en quatre parties :
- Les débuts au Liban
- La trilogie
- Un album plus jazz
- Les autres projets
Les débuts au Liban (1/4)
Peux-t-on revenir sur le Liban et votre père qui rêvait de jouer comme Maurice André ?
Mon père est né en 1940 dans la montagne libanaise et a découvert vers l’âge de 20 ans une trompette qui faisait partie d’un ensemble d’instruments (clarinettes, bugles, cornets…) stockés dans une vieille école désaffectée, qui était devenue presque un débarras dans ce village où il est né ; tous ces instruments étaient un héritage d’une mode datant du mandat français pendant lequel tous les villages libanais se sont mis à jouer avec des fanfares à la française. C’était juste une mode, à l’image des gens qui aujourd’hui écoutent le hip hop avec leur Ipod… Tout le monde faisait ça à l’époque, et à un moment donné, cette mode est passée, le mandat français s’est terminé et les villages se sont retrouvés avec tous ces instruments qu’ils avaient achetés et dont plus personne ne se servait. Mon grand-père, mon arrière-grand-père et mon arrière-arrière-grand-père jouaient du cornet à pistons dans la fanfare de leur village. Mon père ne jouait pas mais il a grandi en entendant ça. Lorsqu’il a découvert cette fameuse trompette dans l’armoire de l’école, il a soufflé dedans et trouvé cela agréable. Il a eu envie alors de travailler l'instrument et s’est rendu au conservatoire de Beyrouth. À l’époque, il y avait une seule personne pour tout le territoire libanais qui était à la fois professeur de trompette, trombone, tuba, cor, toutes sortes de cuivres… mon père a pris des cours avec lui, a appris quelques mélodies et il est tombé amoureux d’une touriste allemande qui lui a dit que s’il voulait faire de la trompette, il fallait aller en France car il y avait là Maurice André, « le Rostropovitch, le Yehudi Menuhin de la trompette ». Sur un coup de tête, il est monté sur un bateau et, croyant arriver à Paris, s’est retrouvé à Marseille en demandant aux gens où était le conservatoire de Paris. On lui a dit qu’il fallait prendre un train mais il n’avait pas d’argent…Il a fini par arriver à la capitale, où il a dit vouloir prendre des cours avec Maurice André : il s’est débrouillé et, finalement, au bout de cinq ou six ans, a été accepté dans la classe du fameux trompettiste… Il avait fait entre temps tous les progrès nécessaires. De là s’est concrétisée son envie de jouer la musique arabe à la trompette. C’est alors qu’il a inventé la trompette à quarts de tons et c’est cet instrument dont je joue aujourd’hui (NDLR : la toute première trompette à quarts de tons connue a été fabriquée en 1893, elle se trouve aujourd'hui au conservatoire d'Odessa, en Ukraine. Il existe également des trompettes à sixième de ton et autres microtonalités.).
Vous avez eu vous-même Maurice André comme enseignant…
Oui…En fait, quand j’ai terminé mes études, j’avais passé un certain nombre de concours internationaux pour essayer de me faire connaître. J’avais eu une expérience assez mitigée de la trompette : quand j’ai commencé l’instrument, j’aimais moyennement ça mais j’avais envie d’être à côté de mon père que je voyais peu. Je me souviens avoir beaucoup insisté pour en faire et il a fini par accepter. Du coup, j’ai pris des cours tous les jours entre l’âge de sept ans et l’âge de 14-15 ans… Au bout du compte, je n’aimais pas trop ça, mais comme mon père me disait que j’étais assez doué, j’ai dû à un moment faire un choix entre la trompette et mes études : je voulais être architecte quand j’étais jeune, j’ai grandi avec ces deux envies-là, mais l’envie de faire de l’architecture était beaucoup plus importante que celle de faire de la musique. À un moment donné – je devais avoir 21 ans – j’avais décidé de passer le diplôme du conservatoire de Paris et d’arrêter ensuite la trompette. C’est ce que j’ai fait, ça s’est très mal passé d’ailleurs, j’ai eu le diplôme avec la mention assez bien… ce qu’il pouvait y avoir de pire. Par ailleurs, j’avais des difficultés physiques avec l’instrument : c’est un peu un sport, la trompette, c’est assez physique, les lèvres sont fragiles et quand on ne fait pas attention, on peut s’abimer. Alors que c’était la période la plus importante de ma vie d’étudiant à la trompette, j’étais en train de jouer de moins en moins bien ; plus je travaillais en pensant que je ne jouais pas assez bien et plus je m’abimais et je suis tombé dans un cercle vicieux où plus je jouais, moins je jouais bien… J’ai alors voulu arrêté la trompette, pour faire seulement de la composition. J’ai passé malgré tout ce concours en juin et, fin juillet, mon père m’a encouragé à suivre un stage animé par Maurice André avant d’arrêter définitivement la trompette. Le stage a duré dix jours mais en seulement deux jours j’avais repris goût à l’instrument, juste en regardant Maurice André : c’était tellement magnifique de le voir jouer… Malgré la fatigue, l’âge, la carrière, dès qu’il prenait sa trompette, c’était magique et ça m’a redonné envie, presque « donné » envie (sans le « re ») de jouer de la trompette. J’ai même décidé de passer un dernier concours international, qui était justement le concours « Maurice André », à Paris et ça s’est bien passé (NDLR : Ibrahim a obtenu en 2003 le 2e prix ex-aequo avec Giuliano Sommerhalder, le premier prix n’ayant pas été décerné cette année-là. Il a obtenu au même concours le prix Feeling Musique décerné au candidat remarqué pour la richesse de sa sonorité).
Et le jazz ?
J’ai suivi le cursus classique au CNSM, jusqu’au bout, mais je n’ai jamais étudié le jazz. Je dis d’ailleurs tout le temps que je ne suis pas un trompettiste de jazz. Aujourd’hui encore, j’avais une réunion avec un directeur de conservatoire où je donne des cours de musique classique, qui évoquait l’ouverture d’un classe de jazz ou j’interviendrais : quand j’ai rappelé que je n’étais pas un jazzman, tout le monde a éclaté de rire… Je pense que quand on sort un album que personne ne sait où mettre, le rayon jazz est bien pratique ! En raison de mes origines libanaises – alors que je suis français « à 300% » – on a voulu mettre mon premier album en musiques du monde. Il a fallu expliquer que j’étais français et que ma musique avait de nombreuses influences, pas seulement arabes : finalement, le disque a atterri dans le rayon jazz, ce qui était un moindre mal. J’ai découvert également il n’y a pas très longtemps que les livres de mon oncle Amin Maalouf – qui a tout de même obtenu le prix Goncourt en 1993 et qui siège à l’Académie Française depuis 2011 – étaient classés dans le rayon Francophonie à la FNAC… Il vit en France depuis 45 ans ; depuis ce temps, il a écrit en français tous ses romans, ses essais, des livrets d’opéra, et il se retrouve dans le rayon francophonie. C’est dire la manière dont parfois, on aime bien mettre les gens dans des catégories. Et c’est encore beaucoup plus compliqué en ce qui me concerne !
Pourquoi pas dans plusieurs catégories ?
Oui, ça par contre, on l’a suggéré… On s’est dit que stratégiquement, ça pouvait être bien : dans les rayons classique, jazz, musiques du mondes…
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